La photo-titre de l'exposition de trois doigts juxtaposés traduit un accord, une connivence entre artistes et designer. En écho au livre d'image de Munari "speak italian" dans lequel il répertorie l'ensemble des signes parlés de la langue italienne, l'exposition sera le résultat de cette équation (2+1) exposée dans le campement de la Galerie Mercier, en haut de la colline du Père Lachaise, entre les murs défrèchis d'une vieille fabrique de gants. Les artistes B&P et le designer OP, installent ici un stock d'hypothèses sous forme de maquettes et de propositions d'objets pour s'émanciper.
Les constructions précaires et les objets hypothèses de l'exposition font appels à la notion d'"expérience qui ne se pratique plus" développée par Walter Benjamin.
Croyez-vous que les expériences des radicaux des années 60-70 ont été vécues ? La Galerie Mercier & Associé en archive depuis longtemps le contenu classifié d'utopies. Et que dire des expériences d'aujourd'hui, émancipatrices du système des objets ? Sont-elle vraiment hors programme ? Car comment percevoir un monde d'autonomie dans l'espace contraint de l'objet, de la galerie, de la ville ? Car comment résister à la non expérience que propose le matérialisme exacerbé ? Tout comme le design de tous les moments de la vie ? La proposition de cette exposition, est de produire un projet critique en intégrant dans le design même des objets et à l'intérieur même du dispositif de présentation, la possibilité d'une expérience à trouver pour éventuellement la réaliser. Cette notion de trouver l'expérience est toute puissante et supplante le programme d'aménagement de chaque instant de la vie, quand elle n'en fait pas la critique en poussant jusqu'à l'absurde les dommages psychologiques (titre néons B&P, 2011 - lustre Miami, OP 2013). Ces objets hypothèses sont articulés les uns aux autres, en partant de l'installation entreprenant la gestion du stock des utopies (utopia blanca, Berdaguer & Péjus 2010) aux objets design d'une communauté émancipée en formation (armoire pleine, Olivier Peyricot 2013). Les usages restent dissidents. Les artistes, le designer, le galeriste, les collectionneurs et les usagers potentiels ne souhaitent rien révéler des desseins qui les animent.
L'esquisse, la précarité, le non fini, la maquette sont des formes non autoritaires, réversibles à tous moments. La matériologie des objets présents dans l'exposition est de ce point de vue parlante , mobilier en carton plume, formes en mousse polystyrène, aluminium brut, démontable, bâche polyane … la matériologie du projet, au sens entendu des radicaux italiens est maquette d'étude, montage à blanc.
Sortir des cartes ... imaginer au loin des communautés. Dans l'exposition elles sont en devenir, construit et déconstruit au rythme des mouvements qui organisent sans cesse un milieu, comme l'écrit Roberto Esposito "La communauté n'est pas une propriété, un plein, un territoire à défendre et à isoler de ceux qui n'en font pas partie.Elle est un vide, une dette, un don à l'égard des autres et nous rappelle aussi, en même temps, à notre altérité constructive d'avec nous mêmes"
Perception anesthésiée... l'ensemble des objets et sculptures présentés, de par leurs formes et protocoles sous-jacents nous suggèrent des expériences et des perceptions spatiales et sensorielles, … mais hormis les vibrations et mouvements lumineux qui rythment l'exposition le reste semble en attente, comme gelé, des fantômes sans château…
Tracés invisibles, règles absentes, utopies effacées : il ne reste chez Mercier & Associés, en ce printemps 2014, que le devenir existentiel d'un groupe humain, équipé de ses fictions, de ses histoires et de l'esquisse de son matériel : une poétique de l'émancipation.
Quels rébus que ces cartes, avec tous ces caps
Et ces îles ! Remercions le Capitaine
De nous avoir, à nous, acheté la meilleure -
Qui est parfaitement et absolument vierge !